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Le Cycle des Destinées: Livre V - Tome XI

Source : Mondes Persistants - par Iodrigar Iavas, proposé par Imrahil.

« "On n'aura pas appris grand chose de neuf, remarqua Morina sur un ton blasé.

- Ouaip, mais on aura bien mangé, répondit Wilhelm.

- Nous devrons certainement affronter des orques, n'est-ce pas, Karl? continua Morina.

- Je préfère employer le terme assouvir, rectifia Karl. Ces bandes errantes ne seront pas difficiles à maîtriser.

- Ces bandes errantes? reprit Morina. Les gardes parlaient plutôt de la Hache Sanglante, cet ost orque qui a balayé tout le sud de l'Empire au siècle dernier!

- La Hache Sanglante n'est plus. Quand ils verront l'étendue de notre pouvoir, ils plieront le genou devant nous. Sois en sûre."

Ils traversèrent le pont mobile qui enjambait la rivière Sol et parvinrent au poste de garde sud. Une sentinelle à demi endormie, qui se réchauffait auprès d'un feu improvisé, leur fit signe de passer sans plus de ménagement. Ils descendirent ensuite la route des Principautés Frontalières à un rythme modéré, guidés par les lumières des lunes qui se perdaient à demi entre les sommets des Montagnes Noires. L'hiver avait beau tirer vers sa fin, il faisait toujours aussi froid.

Ils longèrent de nombreux champs, la ferme Richthofen, la ferme Muller, et entrèrent dans la sombre forêt que l'on appelait dans la région la Forêt Fantôme, en raison de la forme torturée des arbres qui la constituaient. Plus grand chose n'était visible sous les sapins. Aussi, c'était Morina qui ouvrait la marche, et qui guidait lentement le reste de l'équipée par l'entremise d'une corde assez longue pour les relier les uns aux autres. Car il arrivait, de nuit, que les routes de forêt s'estompent au gré d'un virage inattendu. Dans des situations comme celle-là, Karl aurait préféré être un elfe. Au moins il y aurait vu un peu plus clair.

Morina progressait sans difficulté. La neige n'était pas très profonde. De nombreux va et viens l'avaient tassée en une couche presque uniforme et compacte. Elle s'était demandée pourquoi Karl avait voulu qu'elle les accompagne. Sa vision nocturne étant un don naturel pour un elfe, elle n'avait pas du tout pensé qu'il aurait besoin d'elle pour retrouver son chemin. La forêt était dense dans cette région. Presque aussi dense que la Drakswald. La végétation changeait un peu, mais la visibilité restait la même. La route suivait les courbures des collines qu'elle empruntait, et n'offrait pas d'appréciation tangible de ses atours sur plus de cinquante mètres.

Aux abords d'une clairière, un hennissement se fit entendre. Morina pensa tout de suite aux chevaux de l'autre groupe, mais réfuta sur l'instant cette idée lorsqu'elle prit conscience qu'il venait de derrière elle, et qu'il était trop distant pour que le cheval de Wilhelm ou de Karl en soit l'origine. Karl l'avait entendu lui aussi, et avait adopté le même raisonnement que l'elfe noire.

"Halte!" cria l'un des deux cavaliers qui arrivait.

L'un d'eux avait une torche.

"Magister Zauberlich je suis Stehmar Rulfit, du Sceptre de Jade, continua-t-il, essoufflé. J'ai été dépêché par Magister Bösertig pour vous remettre la missive suivante."

Karl avait déjà tiré son arme. Il reconnut les deux voyageurs de l'Aigle Noir. Ceux qui étaient restés dans un coin de la salle. Le cavalier qui venait de parler avait sortit d'une poche de son manteau une enveloppe scellée. Magister Zauberlich s'approcha de lui. Il n'avait pas rengainé son épée. Il le dévisagea d'un oeil suspicieux avant de saisir la lettre. Celle-ci portait en effet le sceau de Magister Bösertig.

"Nous n'avons pas pu vous la remettre à l'auberge. Comme vous avez pu le constater, il y avait bien trop de militaires.

- Depuis combien de temps m'attendiez-vous, à l'Aigle Noir?

- Depuis neuf jours, Magister. J'ai du simuler la maladie pour justifier notre séjour prolongé.

- Vous êtes sûr de ne pas avoir étés suivis?

- Absolum..."

La phrase de Rulfit se noya dans une gerbe de sang. Son compagnon venait de lui planter sa dague entre les omoplates.

"Lâchez vos armes! hurla une voix depuis les ombres de la Forêt Fantôme. Au nom de l'Empereur, vous êtes cernés!"

Des mouvements dans les feuillages! Un piège!

L'assassin voulut lancer sa dague sur Zauberkünstler. Il n'en eut jamais le temps: un carreau d'arbalète en pleine tête lui ôta la vie proprement. Morina rechargea son arme pour se trouver une nouvelle cible.

Wilhelm avait tiré son épée.

"Ne restons pas là! cria Karl. Allez!"

Il éperonna violemment son cheval et partit au galop toutes brides abattues. Ses compagnons ne tardèrent pas le suivre.

Les forces impériales non plus, d'ailleurs.

Karl se rendit vite compte que nombre de leurs ennemis essayait de leur barrer la route, alors que les plus nombreux arrivaient par derrière et sur les côtés. Ils n'avaient pas le choix: ils devaient forcer le passage droit devant eux!

Morina poussait son cheval aux limites de ses conditions physiques. Il soufflait beaucoup, mais il fallait qu'il tienne jusqu'à ce qu'ils soient à l'abri. Elle l'éperonna encore à plusieurs reprises pour le motiver à maintenir le rythme. Un cavalier arrivait très vite sur sa gauche. Il allait la rattraper. La capuche renversée par la vitesse, elle prit une seconde pour viser, et tirer.

Le soldat heurta un arbre en une chute spectaculaire qui lui fut fatale.

Un de moins!

Wilhelm, qui avait pris une bonne allure, rattrapait petit à petit Zauberkünstler. Mais il n'était pas le seul: un cavalier était sur ses talons, et gagnait sur lui.

Il fut rapidement à sa hauteur! Anticipant une attaque, Wilhelm frappa le soldat de son arme. Ce dernier para avec son bouclier, et riposta derechef d'un coup de fléau. Wilhelm put le prévenir en déviant le manche du bout de sa lame. Puis ce fut un coup de coude, suivi d'un coup de poing qui eut raison du casque de son adversaire. Wilhelm reprit un peu de distance. Le cavalier n'abandonnait pas. Il brandit son fléau pour le frapper dans les reins. Wilhelm fracassa d'un coup d'épée le crâne du cheval impérial, engageant son adversaire dans une série d'interminables roulades dans la neige.

Karl arrivait au bout de la clairière. Trois individus montés lui barraient le passage, épées dressées.. Qu'importe! Ils verraient ce qu'il leur en coûterait de se mettre en travers de la route de Magister Zauberlich!

Karl saisit son sceptre de sa main gauche. Morina et Wilhelm étaient à ses côtés. Il n'aurait pas à revenir les chercher. Il tendit solennellement les bras en croix, ses armes apparaissant comme les prolongements naturels de sa stature guerrière. Puis, toujours au galop, il fixa intensément le cavalier du centre. Il attendit le dernier moment. Le moment le plus propice.

Iakash!

Victime d'une force invisible, le chevalier impérial fut désarçonné et projeté en arrière. Il échoua lamentablement dans la neige, en proie à la stupeur la plus pure. Ses compagnons d'armes furent déconcentrés l'espace d'une fraction de seconde par ce qui venait de lui arriver. Cette fraction de seconde fut décisive.

Karl délivra en même temps un coup de sceptre et un coup d'épée. Ses deux adversaires tombèrent sur le sol, la tête éclatée.

Leurs autres poursuivants étaient à une vingtaine de mètres derrière eux. Leurs chevaux étaient plus rapides. Ils les rattraperaient rapidement.

Karl rengaina son épée. Il cala son sceptre sous sa selle et sortit le Cristal d'Air. Tel un éclat de glace, il reflétait légèrement la lueur des lunes. Morina était à son niveau à présent. Karl lui tendit ses rennes. Il avait besoin s'avoir les mains vides pour utiliser le cristal. Il ferma les yeux un court instant pour se recueillir, oubliant la lutte, oubliant la poursuite. Oubliant son cheval et oubliant le froid.

Il chuchota alors le dialecte inavouable qui avilissait les éléments, qui le rendait maître d'une puissance infinie et pourtant interdite, une puissance qu'aucun mortel ne devrait jamais pouvoir effleurer. Il rouvrit lentement les paupières pour révéler des yeux vides de pupille, des yeux scintillants malgré leur absence de vie, animés par une volonté terrifiante. Des formes éthérées torturées émergèrent du cristal, et à l'unisson, elles murmurèrent des dialectes oubliés aux accents retors et grotesques, bannis et blasphématoires.

Un nom, parfois, se répétait.

Tzeentch!

Sentant son énergie l'envahir, Karl réunit toutes ses forces pour commander au cristal.

L'artefact finit par se plier à sa volonté.

Un puissant courant d'air surgi de nulle part déferla entre Wilhelm et Morina, manquant de les renverser, pour se ruer sur leurs poursuivants.

Des cris d'horreur déchirèrent la nuit comme la tempête les voiles d'un navire.

Morina se retourna instinctivement pour voir ce qui se passait.

Déjà loin derrière elle, une entité de vent était en train de mettre en pièce les chevaliers impériaux qui les avaient poursuivi. Cavaliers ou montures, ils échouaient sur la route les uns après les autres, démembrés ou atrocement mutilés.

Morina détourna son regard du carnage pour observer Karl. Il tenait fermement le cristal entre ses mains. Le visage serein, il était en transe. Tout à coup, il reprit ses esprits. Il ressaisit les rennes de sa monture et ralentit. Wilhelm et Morina se regardèrent mutuellement, intrigués.

Karl se détacha du groupe, et monta au sommet d'un rocher à la cime de la plus proche colline. Surplombant les arbres, il offrait une vue imprenable sur la vallée de la rivière Sol et sur Kreutzhofen. Près de la ferme Muller, on pouvait distinguer les silhouettes d'une poignée de chevaliers qui avaient miraculeusement réchappé au massacre.

Galvanisé par sa victoire, Karl Zauberkünstler se mit à hurler:

"Allez dire à votre souverain que l'Empire a un nouvel ennemi! Karl Zauberkünstler! Seigneur du Yetzin!"


A suivre... »

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