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Le Cycle des Destinées: Livre V - Tome III

Source : Mondes Persistants - par Iodrigar Iavas, proposé par Imrahil.

« Peu avant la tombée de la nuit, les frères arrivèrent à proximité du col près duquel Zauberkünstler et ses hommes avaient été attaqués par les orques. Depuis les hauteurs, on pouvait discerner plusieurs silhouettes étendues dans la neige.

"Frère Whitespore, dit l'un des frères à l'intention du nain. Il y a eu un combat, ici.

_ Croyez vous que nos ennemis soient tombés dans une embuscade?, demanda le deuxième.

_ Probablement, répondit frère Whitespore.

_ Tendue par nos agents?

_ Non. Je ne crois pas. Continuons un peu. Il me semble que plus bas, nous aurons réponses à nos questions. Mais restons tout de même sur nos gardes."

Les frères acquiescèrent.

Ils furent rapidement sur les lieux. Ils énumérèrent sans peine les cadavres de huit orques et de deux chevaux. Alentours, quelques armes étaient éparpillées dans la neige.

"Pas trace de nos ennemis", déclara Whitespore sur un ton morne.

L'un de ses acolytes se mit tout à coup à fouiller l'épaisse couche neigeuse. Au bout de quelques instants, il avait mis à jour les corps de deux humains, qui avaient été tués à coups d'épées, ou de dagues. L'un d'eux avait des glandes salivaires hypertrophiées à outrance, auréolées d'une couleur verdâtre, malsaine.

"Des mutants!" s'écria celui qui venait de creuser.

_ Portent-t-ils des tatouages, ou des symboles religieux? demanda le nain.

_ Oui! répondit-il après une brève inspection. Ce sont des adeptes de Tzeentch, notre grand ennemi!

_ Loué soit notre Seigneur, déclara le troisième frère.

_ O Grand Nurgle, reprit Whitespore, nous te remercions humblement de l'aide que tu nous portes en affaiblissant nos ennemis. Nous glorifions ton Nom."

Puis à ses compagnons:

"Mes frères, il est temps de frapper. Allons! La Peste soit des adorateurs de Tzeentch! Le tumulus de Kemmler ne doit plus être loin. Il nous faut ses livres de sorts avant que Zauberkünstler ne mette la main dessus. En route!"



* * *



Ce fut Morina qui pénétra la première dans le sanctuaire de ce qui avait été par le passé l'un des plus puissants nécromants de son temps, le Lichemeister -littéralement le Seigneur des Liches-, Heinrich Kemmler. L'escalier ténébreux dans lequel elle s'engageait était dans un état lamentable. Les marches avaient été rendues dangereuses par l'humidité du site et par de nombreux va et viens. L'atmosphère du tumulus était chargé d'une lourde odeur de tombe aux relents écœurants.

Kemmler avait du à la fin du siècle dernier se réfugier dans les Montagnes Grises afin de fuir les répurgateurs impériaux; qui avaient découvert à Nuln son laboratoire et la nature blasphématoire de ses recherches.

C'était in extremis qu'il avait échappé aux autorités spirituelles, au moyen d'un sortilège de vol contenu dans un anneau de sort, mais sa lutte pour la "survie" n'était pas restée sans séquelles: le père supérieur de la Maisontaal, monastère dans lequel Kemmler pensait pouvoir trouver un moment de répit, l'avait surpris en l'attaquant au moyen d'une arme sainte d'une puissance redoutable, qui priva le nécromant de toutes ses aptitudes magiques.

L'inquisition organisa plusieurs battues, mais aucune ne fut concluante. Kemmler avait été vaincu. Il avait sûrement du mourir dans ces montagnes inhospitalières.

Vaincu, certes. Mais pas mort.

Quarante ans plus tard, recouvrant lentement ses pouvoirs, Kemmler refit surface pour terroriser les villages alentours. Son ambition était alors de se venger de ceux qui l'avaient persécuté. Mais ses projets furent passablement perturbés: il mourut une bonne fois pour toute, du moins selon les chroniqueurs, il y a treize ans à la bataille de la Maisontaal.

Les autorités impériales cherchèrent longtemps le repaire du nécromant.

Ce fut une expédition d'adeptes de Tzeentch qui le localisa. Umbert en avait fait partie. Il était à présent de retour sur le site qui lui avait fait gagner l'estime de ses supérieurs.

Il suivait Morina de près, fébrile à l'idée de parcourir les grimoires qui renfermaient avec avarice tous les secrets de la non-vie. Morina atteignit enfin le bas de l'escalier, qui donnait sur une espèce de corridor mortuaire, sur les parois duquel étaient disposés de nombreux sarcophages aux boiseries richement décorées. Sans perdre un instant, l'elfe noire sortit sa dague et marcha vers la première sépulture.

"Pas si vite, dit Umbert. Kemmler n'était pas fou. Son antre doit être truffée de pièges à l'encontre des pillards comme toi.

_ J'en fait mon affaire, répondit Morina. Je sais me débrouiller.

_ Attention, rétorqua Umbert, je ne parle pas de pièges mécaniques. Pour ceux-ci, je sais que je pourrais te faire une confiance presque aveugle. Non, non. Je parle des pièges magiques, comme les alarmes et les sorts de zone. Je ne crois pas que tes cales pourraient nous protéger d'esprits gardiens."

Morina lâcha un profond soupir.

"Il a raison, reprit Karl qui s'appuyait sur son bâton de culte. Il ne faut pas prendre de risques. Nous devons retrouver les notes de Kemmler. N'oubliez pas que ses grimoires sont d'une importance primordiale. Ordre de marche: Umbert et Morina, Morga et moi-même, Eldilad et Valdrigar. Eldilad, Morina: une torche. Lorsque les sorts du Lichemeister seront en sécurité, nous pourrons nous intéresser au reste. Pas avant."

Karl fit signe à Umbert d'avancer. Peut-être par réflexe, Eldilad et Valdrigar dégainèrent leurs armes. De son côté, Morga feuilletait l'un de ses ouvrages, à la recherche d'indications sur les symboles ésotériques gravés à même la roche et sur la plupart des sarcophages. De temps en temps, elle reconnaissait un nom, un écu, une Maison, un rang social, mais tous les symboles religieux qui avaient une fois orné ces cercueils avaient systématiquement été effacés ou détruits, comme pour bannir les Dieux de ce domaine néfaste, cette antichambre de la mort. Aucun lien direct n'existait entre les cadavres entreposés ici. Certain cercueils était de facture très humble, et trahissaient une origine modeste, alors que d'autres se noyaient sous les enluminures. La plupart venait de l'Empire, mais il n'était pas rare de croiser certains sarcophages bretonniens, estaliens ou de Tilée. Morga put même examiner sommairement une tombe naine qui avait échoué là d'on ne sait où ni comment. Kemmler ne faisait aucune discrimination.

Au bout d'une vingtaine de mètres, le couloir déboucha sur une salle pourvue de trois ouvertures: celle par laquelle le groupe venait d'entrer, puis une sur la gauche, et une sur la droite. Dans cette chambre mortuaire -car c'en était une- l'odeur de pourriture était à la limite du supportable. Contre les murs, dans des espèces de niches très grossières creusées en suivant des lois anarchiques, reposait dans des postures parfois burlesques une multitude de corps à peine encore vêtus de linceuls ocres ou blanchâtres rongés par le temps. Pris d'un haut le cœur, Valdrigar se retint de choir en s'appuyant contre la paroi humide et tiède du couloir.

"Etrange, dit alors Morga sur un ton analytique. Les corps ont été épargnés par les vers.

_ N'en rajoute pas, reprit Eldilad qui réprimait un sourire. Valdrigar est assez mal en point comme ça.

_ Je suis sérieuse.

_ La magie n'est pas étrangère à ce phénomène, déclara Umbert. Kemmler a protégé ses cadavres par des enchantements de préservation. Espérons que son laboratoire ne sera pas plus défendu.

_ Alors? demanda Eldilad. A droite ou à gauche?"

Karl se plaça entre les deux passages et les considéra l'un après l'autre.

"A droite, répondit-il. Pour commencer. De toute manière, je ne pense pas que ce repaire soit immense.

_ C'est aussi mon avis, continua Morina. L'écho n'est pas profond. Le réseau n'est pas très important."

Après dix mètres de galerie passés à contempler les sinistres structures de soutènements -exclusivement constituées d'ossements de diverses natures sur lesquelles avaient été gravés une multitude de signes cabalistiques- le passage se rétrécit avant de donner sur une porte de bois vermoulu, renforcée par des fers décrépits. Aucune serrure n'était visible.

Sur un signe de Zauberkünstler, Umbert s'approcha de la porte et, fermant les yeux, la frôla du bout des doigts.

"Verrou magique..."

Umbert sortit une clé d'argent de son sac et la plaqua contre la porte, à hauteur d'épaule. Il se concentra un court instant puis récita une formule aux accents retors. La clé disparut en une lueur dorée. Deux seconde de plus, et la porte s'ouvrit d'elle-même.

"Un jeu d'enfant.

_ Il est surprenant qu'un sorcier tel que le Lichemeister n'ait sécurisé son domaine qu'au moyen d'un simple sort de fermeture, observa Karl.

_ Ca ne colle pas, répondit Morga. Kemmler était un fourbe. Un fourbe paranoïaque. Il n'aurait jamais laissé ses affaires sans protection.

_ Il me vient un sentiment bien étrange, reprit Valdrigar. Comme si... on nous observait."

A la lueur de leurs torches se révélait à mesure qu'ils y pénétraient une salle aux dimensions respectables, abondamment meublée d'étagères et de tables poussiéreuses sur lesquelles gisaient toute une panoplie de récipients, de colonnes à distiller, de bocaux aux multiples formes et couleurs, mais aussi d'ustensiles variés, d'outils aux courbes inhabituelles et de nombreux bibelots disséminés un peu partout. Une malle trainait sous une table près de l'entrée. Elle était ornée d'un cadenas impressionnant dont la clé n'était pas visible. Les étagères étaient surchargées de livres anciens aux reliures apparemment bien conservées. Sur trois lutrins qui faisaient face à une lugubre table de dissection occupée reposaient trois grimoires forts anciens. L'un d'eux était ouvert. Sur l'une de ses pages avait été laissé un petit livre de notes, ouvert lui aussi, ainsi qu'une plume et un encrier desséché.

"Les grimoires de Kemmler!" s'écria Umbert.

Il se précipita sur le carnet de notes et en examina sommairement le contenu, tout excité par leur trouvaille.

"Karl, tout est là! reprit-il, fébrile, tout en parcourant les écrits du nécromant. Tout! Tous ses travaux, toutes ses recherches sont répertoriées dans ce livr..."

Sans prévenir, il s'arrêta net. Lentement, une appréhension surnaturelle le gagnait. Il referma brusquement le carnet avant de le tendre à Morgaliel, puis porta toute son attention sur le livre ouvert, l'imposant grimoire poussiéreux qui trônait sur un lutrin rouillé aux atours baroques et sinistres. Il s'en saisit délicatement. Sa texture était douce, et tiède. Après en avoir soufflé la poussière, Umbert le referma pour en lire le titre:



Liber Mortis.
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