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KRUNCH!

Source : Arhenn, proposé par Attila.

« - "Qu'est-ce que t'as Zorg? Y'a comme d'la fumée qui t'sort des narines depuis tout à l'heure.

- Bleug a raison, même que tes yeux, y sont devenus rouges à force qu'y ait du feu qui brûle dedans."

Le petit gobelin était en effet dans un drôle d'état. Il bavait au moins trois fois plus que d'habitude et puait tellement qu'il arrivait à couvrir l'odeur de ses parents. C'était bien sûr inadmissible mais les nombreuses baffes de son père ne changeaient rien et semblaient même aggraver les choses. A court de remèdes Bleug et Grozna se décidèrent à employer les grands moyens et finirent par se débarrasser de leur fils en le fourrant dans un sac et en le jetant à la décharge (c'est à dire à l'endroit où s'élevait le plus haut tas d'immondices aux alentours.) Ayant rempli leur rôle éducatif de parents responsables, ils retournèrent à leurs occupations : rajouter des crânes d'humains à leur hutte, se chamailler sur l'état de putréfaction avancé du bocal de limaces et tenter de s'étrangler l'un l'autre pour déterminer qui aurait le privilège de le manger.

Zorg, quant à lui, se trouvait bien un peu à l'étroit dans son sac, mais au moins il y faisait chaud et personne ne lui donnait de calottes. Il venait donc de décider de s'y établir définitivement lorsqu'il fut dérangé en plein repas (il restait quelques blattes au fond de son nouvel appartement) par une main arrivant à l'improviste. L'ayant prise tout d'abord pour une blatte un peu plus grosse et un peu plus verte que les autres, il fut surpris de constater en croquant dedans qu'elle contenait un os et qu'elle n'entendait pas se laisser bouffer comme ça. Après l'avoir étranglé un court instant, elle le tira hors de chez lui; Zorg put alors constater que la Main était prolongée par une sorte de gros truc verdâtre avec des yeux et tout un tas de dents aiguës et baveuses. Le tout ressemblait à une sculpture d'art primitif Gobelin en étron véritable telles que Zorg avait pu en voir dans la hutte du chef du village qui aimait que rien ne se perde dans sa horde. Le gigantesque Machin qui prolongeait la Main (et qui se révélait être un Troll) se gratta la tête avec sa main libre, rota, lâcha un pet sonore, bailla et faillit s'endormir après tous ces efforts mais se décida finalement à mettre Zorg sous son bras et à s'en aller d'un pas très rapide en direction de la forêt.

Au bout de quelques heures de marche, le Troll arriva enfin à destination. Il s'était arrêté douze fois pour se demander où il était et pourquoi il y était, mais il avait pu à chaque fois se souvenir de tout ou presque et était finalement parvenu jusque chez lui. "C'est un Troll vachement intelligent" pensa Zorg, "Il arrive même à monter les escaliers tout seul sans tomber." Le troll s'appliquait en effet à gravir le plus doucement possible chaque marche de l'escalier qui montait à la cabane vers laquelle il se dirigeait, en tirant la langue, comme un élève qui essaye d'écrire le plus droit possible sur son cahier. Il parvint enfin tout en haut et s'écroula de fatigue sur un tas de fumier qui lui servait de lit, terrassé par cet intense effort intellectuel. Une voix perçante s'éleva alors dans la cabane.

- "Qu'est ce que tu m'ramènes encore sale bestiole ? T'as pas assez à bouffer dehors, y faut encore que tu ramènes les restes chez moi ! Allez, vire-moi ton sale petit gob d'ici et plus vite que ça !"
Le Gobelin qui venait de crier cela surgit alors du fond de la cabane un fouet à la main et se mit à rouer de coups le Troll, qui n'avait pas l'air de beaucoup souffrir pour autant : au contraire chaque coup de fouet semblait le chatouiller et ses blessures se refermaient au fur et à mesure que le gobelin les infligeait. Ce dernier se décida à passer à une punition plus efficace et s'empara d'une vieille épée. Il allait couper la tête du troll "pour lui apprendre à vivre" lorsqu'il s'aperçut que Zorg était encore bien vivant.

- "Tiens y t'a pas encore zigouillé ? Y voulait pt'être bien t'conserver au frais pour t'bouffer plus tard. Y'a pas à dire, il est drôlement intelligent pour un Troll. Mais dis donc, qu'est ce qu'y t'arrive ?"
De la fumée noire s'échappait en effet de la bouche et des oreilles du gobelin. "Tu s'rais donc un Elu com' moi?" fit-il en le regardant de plus près tout en lui soulevant une paupière inerte. Le gobelin chez qui Zorg était arrivé était en effet un shaman réfugié dans la forêt, qui s'était établi là depuis de longues années et avait réussi à capturer et dresser un Troll pour en faire un serviteur. Les Shamans (c'était ainsi qu'on appelait les sorciers des Orques et des Gobelins) étaient repérés dès leur plus jeune âge dans leur tribu : lorsqu'ils assistaient à une bagarre ou à une scène de violence (ce qui arrivait assez souvent, pour ne pas dire constamment) ils devenaient incontrôlables, de la fumée leur sortait par tous les orifices et leurs yeux lançaient des éclairs. C'étaient là les signes d'un choix divin : les dieux orques Gork et Mork manifestaient leur puissance à travers l'individu qu'ils avaient désigné comme leur élu. Cet honneur était en général récompensé par une mise à l'écart immédiate car si les shamans accumulaient trop d'énergie magique leur tête et celle de tous ceux qui se trouvaient près d'eux risquait exploser, ce qui représentait une perte majeure pour les victimes, même chez les gobelins. Ces derniers n'étant pas complètement stupides, contrairement aux croyances populaires et aux conclusions de tests controversés, ils se protégeaient de cette éventualité en invitant l'apprenti shaman à quitter le village à grands coups de pieds dans le derrière (et ailleurs aussi.). Zorg présentait donc tous les signes auxquels on reconnaissait un futur shaman.

Glonkk, celui chez qui avait atterri Zorg, était lui-même shaman et avait connu lui aussi ce difficile parcours. Il ne fut pas pris de pitié pour le petit gobelin (ce sentiment n'existe pas chez les Peaux-Vertes) mais décida tout de même de le garder avec lui pour assurer sa formation. Après en avoir fait un bon shaman il pourrait le vendre à une armée Orque qui partait en guerre et faire ainsi un large bénéfice : les généraux Orques payaient cher les shamans car ils en avaient besoin pour combattre efficacement.

Pendant trois ans Zorg fut donc apprenti chez Glonkk. Il apprenait comment lancer des éclairs avec les yeux ou comment donner un coup de boule à distance. De nombreuses fois il crut que sa tête allait exploser, mais il parvenait toujours à se maîtriser et se contentait de libérer un flot d'énergie Waaagh qui envoyait souvent Gloub le Troll valser dans les airs après l'avoir éjecté de la cabane. Parfois Glonkk ramenait à la maison un Humain du village qui se trouvait à l'orée de la forêt et Zorg s'exerçait alors à lui donner des baffes magiques. Cela lui faisait travailler sa Waaagh et améliorait l'ordinaire du repas du soir après les exercices. Il atteignit bientôt un niveau de magie suffisant pour l'utiliser pendant une bataille et Glonkk se décida à le vendre au chef Orque Grotsnak qui partait donner une rouste au baron Tristan de Malaterre en Bretonnie.

Zorg suivit la horde de Grotsnak pendant deux jours. Il devait courir sans cesse car les Orques marchaient beaucoup trop vite pour lui, et bien souvent on lui faisait des croche-pieds et il allait s'étaler dans la boue au milieu des rires et des quolibets des Orques. Enfin, à l'aube du troisième jour l'armée atteignit les terres du Baron et commença à piller et massacrer tout ce qui se trouvait sur son passage. Le Baron, aussitôt averti de cette invasion, partit avec ses chevaliers arrêter la horde et les deux armées se retrouvèrent un jour face à face au milieu d'une plaine. Zorg qui avait été laissé de côté lors des pillages fut immédiatement mis à contribution et fut monté sur une gigantesque araignée de combat et placé au sommet d'une colline qui se trouvait sur les flancs de la horde. Heureusement il connaissait bien ce genre de monture et en avait parfois chevauché dans la forêt, et bien que l'animal soit un peu excité par le bruit et la lumière du champ de bataille Zorg parvint à en garder le contrôle. Il préférait de toute façon monter une araignée géante plutôt que ces énormes sangliers que chevauchaient tant bien que mal Grotsnak et sa garde d'élite.

Le combat commença. Les lance-rocs faisaient beaucoup de dégâts parmi les archers Bretonniens tandis que la Garde de Grotsnak se jetait avec frénésie sur la formation en fer de lance des chevaliers du royaume. Les têtes encore couvertes de leurs heaumes volaient sous la hache de guerre de Grotsnak alors que le régiment de gobelins de la Nuit lâchait ses fanatiques sur l'ennemi. Tout démarrait bien dans cette bataille et Zorg se mit à sentir l'énergie Waaagh affluer en lui. Il voulait aussi prendre part au succès des Orques et décida de jeter quelques sorts. Son premier visa le chef des archers qui se trouvaient en face de lui: il lui envoya un magnifique coup de boule dont il avait le secret ; la tête du bretonnien fut éparpillée par le choc et éclaboussa les hommes qui étaient autour. Grisé par ce succès, Zorg essaya un nouveau sort : invoquant Mork il fit apparaître dans les airs une main immense qui souleva le Comte de Belazur dans les airs et le garda au-dessus du champ de bataille. Le malheureux réussit cependant à se dégager pour retomber vingt mètres plus bas sur son cheval, qui eut les reins brisés sous le choc. Pendant ce temps, le sorcier ennemi dont Zorg sentait la présence et qui le gênait pour lancer ses sorts fut coupé en deux par Frok, un grand orque Noir qui venait de boire une Potion de Force. Dès lors Zorg put s'en donner à coeur joie; il lançait ses sorts l'un après l'autre et faisait exploser de nombreuses têtes dans les rangs ennemis. Les heures passèrent et la bataille était quasiment gagnée : il ne restait plus que la garde personnelle du Baron de Malaterre sur le terrain et les Orques la harcelaient de toutes parts. Grotsnak menait une charge qui devait être décisive contre les derniers bretonniens, en les prenant à revers, quand il lui sembla que le ciel s'obscurcissait au-dessus de sa tête. Il n'eut pas le temps de réaliser ce qui se passait, et fut écrabouillé comme une fleur par un énorme pied vert qui s'abattit sur lui et ses hommes. C'était Zorg qui venait d'essayer de lancer pour la première fois le meilleur sort qu'il connaissait pour épater la galerie, et qui venait de réussir, avec toutefois une légère erreur d'estimation de la distance. Le pied de Gork avait raté de peu sa véritable cible et les Bretonniens étonnés virent le chef orque réduit à l'état de galette à leur place.

Aussitôt un silence pesant s'abattit sur les rangs orques. On entendit tout juste un "oups" provenant d'un gobelin monté sur une araignée, là bas, loin du centre des combats, et qui filait à toute vitesse. Ce fut le signal de la panique générale. Les gobelins s'enfuirent en couinant, suivis de près par tous les Peaux Vertes, et bientôt ce fut la débandade générale. Poursuivis par les chevaliers qui les exterminaient impitoyablement, les Orques tentèrent de se réfugier dans la forêt avoisinante et seuls quelques-uns y arrivèrent. La victoire venait de se transformer en défaite écrasante.

Zorg, bien à l'abri dans les branches d'un marronnier auquel il avait grimpé grâce à son araignée attendit la nuit pour redescendre puis il prit silencieusement le chemin de sa chère forêt. Toute sa vie le Baron Tristan de Malaterre se demanda quel grain de sable avait bien pu s'introduire dans la mécanique orque et lui sauver ainsi la vie. Il ignorait, et cela valait mieux pour son honneur, qu'il devait cette grâce à un gobelin. »

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