Source : Mondes Persistants - par Iodrigar Iavas, proposé par Imrahil.
« Le ciel recouvrait peu à peu sa luminosité, mais restait d'un gris salle peu engageant. L'étendue nuageuse avait eu le temps de descendre dans la vallée, et la neige qu'elle portait en ses flancs se déversait selon les caprices d'un vent du nord au souffle à la fois sinistre et cinglant. La piste de la Maisontaal se perdait irrégulièrement sous l'épaisse couche de poudreuse fraîchement tombée, pour resurgir de temps à autres au gré d'un versant de montagne, ou au niveau d'un pont de bois décrépi enjambant la rivière Vaswasser. La route de l'ouest était peu fréquentée à cette époque de l'année, et devenait par moments difficilement repérable. Mais le dénivelé et le sillon que la rivière avait creusé dans la roche au fil des âges guidait le groupe de Zauberkünstler au travers de ces contrées hostiles et désolées.
Ils ne s'étaient pas reposés. Cela faisait plusieurs heures qu'ils progressaient sur cette route peu praticable, et la fatigue, mêlée à un sentiment de lassitude, commençait à se faire ressentir.
Le pillage du tumulus de Kemmler avait été effectué méthodiquement. Le chariot était bien rempli, à l'instar des sacoches de la plupart des chevaux. Presque tous les éléments intacts du laboratoire du Lichemeister avaient été récupérés: les grimoires, les fioles, les ingrédients de sort, quelques meubles et plusieurs babioles étranges à l'utilité non encore déterminée avec certitude. Malheureusement, Umbert n'avait décelé aucun artefact magique. Du moins, il n'en avait pas signalé.
Déjà, ce dernier était plongé dans le Liber Mortis. Depuis le lever du jour, il n'avait pas arrêté de parcourir les pages jaunies qui selon la légende renfermaient les secrets de la non-vie. Umbert semblait fasciné, et rares étaient les choses qui le dérangeaient de sa lecture passionnée. En fait, il ne faisait que suivre instinctivement le reste du groupe. Morga feuilletait elle aussi les ouvrages passés qu'ils avaient récupérés. Elle trouvait un intérêt tout particulier pour un livre portant sur les rites magiques de la lointaine Arabie. Ce n'était pas un livre de méthode, mais plutôt une espèce de compte-rendu, un témoignage écrit il y a longtemps par un croisé bretonnien oublié.
Le reste du groupe avançait sans mot dire. Il leur tardait de se reposer, mais personne n'osait se plaindre. Pour les uns, c'était faire preuve de faiblesse. Les autres savaient que cela ne servirait à rien. Il n'y avait que Wilhelm qui avait du mal à se tenir éveillé. Il lui arrivait de se laisser aller l'espace de quelques secondes, et même de perdre les rennes de l'attelage. Systématiquement, Morina le remettait dans le droit chemin par l'entremise d'un coup de pied bien senti.
Ils chevauchèrent ainsi toute la matinée. La neige ne s'était à aucun moment arrêtée de tomber. D'un côté, c'était leur rendre service: Karl avait la certitude que quelque part derrière eux des rivaux les suivaient. Ce sentiment était inexplicable. Il le savait, voilà tout. Le brouillard, les intempéries les aideraient à semer d'éventuels poursuivants.
Peu avant midi, ils arrivèrent enfin à la croisée des routes. La voie qu'ils venaient d'emprunter se séparait en trois. Une de ses artères allait vers le nord, et les autres à l'ouest et au sud. Sirandile, qui comme à l'accoutumée était parti en éclaireur, les attendait au sommet d'un escarpement rocailleux. Karl leva la main droite en un signe de halte. Sirandile le rejoint.
"Magister, commença-t-il en désignant les pistes du nord et le l'ouest, ces routes ont récemment été empruntées. Des pèlerins qui se rendaient à la Maisontaal, sans aucun doute.
- Nombreux?
- Au moins une quinzaine.
- Parfait. Morga?
- Oui, Magister?
- Sors nous une de tes cartes, que nous sachions nous situer précisément.
- Très bien, Magister."
Elle sortit une reliure de cuir de l'une des sacoches de son cheval. Elle l'ouvrit pour en dégager un parchemin. Un coup d'éperons, et elle présentait sa carte des Montagnes Grises au chef de l'expédition.
"Nous devons prendre la route du sud si nous voulons rejoindre le Yetzin, expliqua Morga en indiquant l'itinéraire.
- T'as vu la tête de la route du sud? demanda Eldilad. C'est pas une route. A peine une piste!
- Peut-être, mais c'est la voie la plus rapide.
- Mais aussi la plus dangereuse, objecta Morina. C'est une route de montagne. Et nous sommes en plein hiver. Nous ferions mieux de poursuivre jusqu'à Grunère, puis longer les Montagnes Gris...
- Et la Forêt de Loren? coupa Morga. Non merci.
- Ca ne me dérangerait pas, déclara Valdrigar. J'ai toujours voulu savoir si les Elfes Sylvains valaient leurs cousins d'Ulthuan.
- Pas bête, renchérit Eldilad qui se frottait le menton, pensif.
- Je le répète, la route la plus sûre passe par le sud, appuya Morga.
- Voyons, reprit Umbert. Le prochain endroit habité sur cet itinéraire ne se trouve pas à moins d'un mois de marche!
- Et bien c'est justement ce pourquoi nous passerons par là, dit alors Karl. Il est vrai que la route du sud n'est pas sans risques. Mais elle est de loin la plus discrète, et nous avons suffisamment de provisions. Notre culte compte de nombreux rivaux. De tous bords. S'ils tiennent vraiment à nous suivre, je gage qu'ils ne serons pas déçus du voyage...
- Et pourquoi ne pas faire marche arrière jusqu'à Ubersreik? suggéra Morina. Après tout, nous pourrions longer les montagnes jusqu'à Kreutzhofen avant de pénétrer la Passe des Crocs de l'Hiver.
- Hors de question, répondit Zauberkünstler. A l'heure qu'il est, l'Empire doit fourmiller de chasseurs de primes, de répurgateurs et de cultistes à notre recherche. Ce sera la route du sud, un point c'est tout.
- Autant disparaître quelques semaines, n'est-ce pas Magister? dit Umbert sur un ton cynique.
- Tout à fait, mon cher Maître Nécromant, lui répondit Karl dans les yeux, un sourire malsain aux lèvres. L'essentiel reste que chacun d'entre nous devra faire en sorte qu'il ne disparaisse pas définitivement..."
Ceci dit, Magister Zauberlich s'engagea sur la route du sud, la route qui les mènerait au prix d'un mois de voyage dans des conditions inavouables jusqu'à la passe Montdidier, et jusqu'à Kreutzhofen, la porte de la Passe des Crocs de l'Hiver et de la vallée du Yetzin.
»