Source : Mondes Persistants - par Iodrigar Iavas, proposé par Imrahil.
« Chapitre 2 - Vers le Yetzin...
Brigitte Wernicke, de la ferme Wernicke, était une mignonne petite fille blonde aux yeux émeraudes de sept ans. Elle n'aimait pas beaucoup l'hiver. Les promenades et les cueillettes lui manquaient, et elle n'avait pas le droit de s'éloigner de la maison. En plus, elle ne pouvait pas surveiller les moutons, parce que la neige recouvrait tous les pâturages. Mais bon, elle l'appréciait quand même un peu parce qu'elle s'amusait avec sa petite sœur à faire des bonhommes de neige. Cette fois-ci, elle avait réussi à trouver de jolis cailloux ronds pour les yeux. Hedwig était toute contente, et insistait pour en mettre un elle aussi. Ce serait d'accord, mais à condition qu'elle le mette en premier. Brigitte aimait bien finir les choses.
Toute fière d'elle, Hedwig s'étira de toute sa hauteur pour placer l'un des yeux de "Monsieur Froi-froid". Ouf! c'était un peu dur, mais elle y était arrivé.
"Je peux mettre l'autre, s'il te plait? demanda-t-elle timidement.
- Non, maintenant c'est mon tour."
Brigitte enfonça la pierre pile en face de la première. Monsieur Froi-froid avait plutôt belle allure.
"Mon enfant?" articula une voix enrouée derrière les fillettes.
Celles-ci sursautèrent en même temps. Brigitte prit sa petite sœur par la main alors qu'elle faisait face aux trois bonhommes qui les avaient surprises. Ils étaient habillés de grands manteaux marrons, comme des moines, mais ceux-là ne sentaient pas très bon. Pas bon du tout, même. S'agrippant à la manche de sa grande sœur, Hedwig commençait à sangloter. Ces croques-mitaines lui faisaient peur.
"Bonjour, petites. C'est un joli bonhomme de neige que vous avez là, toutes les deux..."
Celui qui venait de parler était trop petit pour être un monsieur. Mais il avait une voix très grave et une longue barbe très noire...
C'était peut-être un petit nain! Brigitte savait que des petits nains avaient aidé son papa quand elle n'était pas encore née! Il venait peut être lui dire bonjour!
"Vous êtes un petit nain copain à mon papa?"
"Vas-y Hugo, passe moi le marteau maintenant", dit Emmerich Wernicke à son frère aîné qui l'aidait à réparer le toit de la ferme.
Un vent violent avait emporté une partie de la charpente trois jours auparavant, et avait laissé le fenil au grand air. Il fallait arranger tout ça rapidement. Ils avaient travaillé d'arrache pied, et il ne restait plus grand chose à faire à présent. Encore quelques ardoises et l'affaire serait réglée. Il saisit le marteau qu'Hugo lui tendait et entama la pose d'une autre ardoise neuve.
Les enfants jouaient bruyamment. La neige était leur jouet favori, et depuis le début de l'hiver, ils n'avaient eu de cesse de s'amuser avec.
Emmerich et Hugo avaient décidé de s'occuper de l'exploitation familiale une dizaine d'années plus tôt, lorsque leur père , Papi Gunthar -comme l'appelaient les enfants de Emmerich-, était devenu trop vieux pour se débrouiller seul. A présent, il était presque sourd, et il fallait lui répéter les choses par deux fois si on voulait garder l'espoir qu'il les comprenne à moitié. Mamie Mathilde, quant à elle, avait gardé toute sa vigueur et son légendaire salle caractère. Elle avait la réputation d'être têtue comme une mule jusqu'au monastère de la Maisontaal. Mais en compagnie de ses petits enfants, Brigitte er Hedwig, elle devenait une grand-mère tout à fait adorable.
Hugo monta à son tour sur le toit. Pour parer à une éventuelle chute, il prit appui sur la cheminée. Elle était chaude. De la fumée à l'odeur alléchante s'en échappait. Son ventre en gargouilla d'avance. Marie-Louise Piébeurré, la cuisinière Helfeling, était en train de préparer à manger.
"Alors, ça avance? demanda l'aîné pour se changer les idées.
- Ca vient. Plus que deux."
Emmerich finit de fixer l'ardoise et tendit la main en l'attente de la prochaine. Elle n'arriva pas.
"Eh! Brigitte! Hedwig! rentrez à la maison tout de suite!"hurla Hugo.
D'un pas précipité, il descendit l'échelle qui le séparait du rez-de-chaussée. Emmerich se leva à son tour pour découvrir ce qui affolait son frère.
Le chien se mit à aboyer. Frénétique, il tirait sur sa chaîne autant qu'il le pouvait, menaçant sauter à la gorge de trois voyageurs engoncés dans de lourdes toges sombres qui venaient d'arriver. L'un d'eux, probablement un nain, s'adressait à Brigitte, sa fille, tout en la tenant par la main.
Pris d'un coup de sang à peine maîtrisé, Emmerich dévala à sont tour l'échelle et couru frénétiquement vers les inconnus, armé de son marteau, à la suite de son frère qui avait détaché Fleck et qui avait du mal à le tenir en laisse.
Brigitte se mit à pleurer et à appeler au-secours: les étrangers ne voulaient pas la laisser partir. Pas plus que sa petite sœur, d'ailleurs.
Frère Whitespore sortit sa dague de son foureau. Tuer n'était pas une de ses passions. En fait, il avait horreur de ça. Pourtant, il le savait: il était des cas pour lesquels il ne pouvait rien y faire.
La plus grande des gamines se débattait comme un diable. L'autre n'arrêtait pas de hurler. Si Whitespore avait horreur des gosses, c'était bien pour cela. Il resserra sa poigne sur l'aînée tandis que l'un de ses acolytes saisit la plus jeune. Les adultes arrivaient. Ils avaient l'air d'être en proie à une haine irrévérencieuse. Présenter un poignard sous la petite gorge de l'une des fillettes les calmerait un peu.
"Laissez-les! hurla de toutes ses forces Emmerich qui accourait tout en brandissant son marteau de façon menaçante.
-Qui êtes-vous? qu'est-ce que vous voulez? demanda Hugo sous le joug de la colère.
- Calmez-vous, calmez-vous... répondit le nain sereinement. Rangez votre arme, vous. Elle ne vous servira à rien contre nous.
- Je vous ai dit de laisser mes filles! Tout de suite!" cria Emmerich au bord de la crise.
Les fillettes continuaient de pleurer désespérément, appelant leur père pour qu'il fasse quelque chose.
"Vous apprendrez, monsieur, que toute chose a un prix en ce bas monde... dit le nain.
- Qu'est-ce que vous voulez?!" demanda Emmerich sur un ton hargneux.
Maintenir le chien en place relevait du miracle. Il tentait désespérément de se libérer de l'étreinte de la chaîne de son maître pour attaquer ceux qui avaient eu le malheur de faire pleurer Brigitte et Hedwig.
"Oh , pas grand chose... Je vous propose un marché: je ne vous rendrais vos filles que lorsque nous auront trouvé un terrain d'entente..."
Le nain se tut un moment, étudiant ses interlocuteurs l'un après l'autre. Ce fut l'un de ses compagnons qui prit la parole.
"Nous savons qu'un groupe de voyageurs est passé par cette route la nuit dernière. La question est: où sont ils allés?
- Mais nous n'en savons rien! répondit Emmerich, incrédule.
- Allons, pas de ce jeu là avec nous! Nous savons qu'ils se sont présentés chez vous. Ces empruntes de sabots en témoignent!"
Il y avait bien des traces de pas laissées par des chevaux. Des chevaux ferrés.
"Mais..
- C'est moi qui les ai vus, coupa Hugo. Ils étaient deux. Ils m'ont réveillé pour m'acheter une charrette. Ils m'ont proposé beaucoup d'argent, mais le fait est que nous n'en avons pas. Alors je leur ai dit de s'adresser au Château Papin, à Frügelhofen."
Les frères se consultèrent brièvement du regard. Cette histoire de chariot les intriguait.
"Par où sont-ils allés? demanda le troisième moine.
- Vers le sud. Ils sont repassés par là deux heures plus tard. Et puis un peu avant l'aube, je les ai vu avec d'autres cavaliers redescendre le Vaswasser vers l'ouest."
- Combien étaient-ils? demanda à sont tour le nain.
- Je ne sais pas. Une dizaine peut-être."
Le nain fit signe la tête à l'un de ses compagnons. Celui-ci relâcha Hedwig, qui courut aussitôt dans les bras de son père.
"Et bien vous voyez que les choses finissent par s'arranger", reprit le nain.
Il retenait Brigitte, et son poignard rouillé était toujours sous le joli visage de l'enfant.
"Encore une chose... lâcha-t-il en un râle essoufflé. Des provisions! Tout de suite! Ou je trucide le bout de choux!"
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