Source : Mondes Persistants - par Iodrigar Iavas, proposé par Imrahil.
« Chapitre 3 - Kreutzhofen
Le village de Kreutzhofen était une communauté modeste mais prospère sur les bords de la rivière Sol. Il était le lieu de passage de nombreux marchands entre l'Empire, via la route de Sonnefurt, les cités-souveraines de Tilée, par la Rivière des Echos et sa route souterraine, et la Bretonnie grâce à la Passe Montdidier. Ses habitants savaient tirer partie de cet avantage notable: Kreutzhofen était devenu une étape pour tous les voyageurs qui devaient passer dans la région. Le bourg comprenait en effet deux auberges, Le Timonier et l'Auberge de l'Aigle Noir, ainsi qu'une taverne, Il Taverna Tauro Rosso, tenue par un immigré tiléen.
Les marchandises transitaient tant par la route que par voie fluviale. La Rivière des Echos, qui passait sous les Montagnes Grises, assurait la jonction entre le Reik et la rivière Cristallo via le port souterrain de Alimento, fondé il y a moins de deux siècles sur des ruines naines.
La garnison de Kreutzhofen avait longtemps été délaissée au profit de Mortensholm, au point d'être presque réduite à néant. Cependant, plusieurs troubles récents dans les Montagnes Noires et les Principautés Frontalières avaient renversé la situation. Le commandant Bernhard de l'armée impériale, à la tête d'un contingent de mille cinq cents hommes, avait jugé sage de laisser une centaine de ses soldats veiller au village tandis qu'il sillonnerait les montagnes à la recherche d'ennemis: cela faisait un peu plus de six mois que des orques menaient des raids dans la région. On parlait même de mutants.
* * *
Alfred Stimmer, lui, était un soldat. Un vrai soldat. Un dur, quoi. En quatre ans de carrière, il avait participé aux campagnes de Sylvanie et de la Passe du Feu Noir, contre les peaux vertes. Et il faut bien le dire: se retrouver de corvée de garde par une nuit d'hiver à l'entrée d'un trou perdu comme Kreutzhofen pour mauvaise conduite l'avait rendu amer pour au moins une semaine. Il avait eu raison de corriger le petit bouseux qui l'avait traité de raté. Le problème, c'était que la discipline de l'armée impériale était pleine de zèle et qu'elle se foutait royalement de la légitimité des trempes. Voilà le problème. Le lieutenant avait joué la sourde oreille. Pas étonnant. Lui aussi n'était qu'un bleu. Un bleu qui parce qu'il avait du sang noble se permettait de donner des leçons aux autres. Ah vraiment... Si seulement il pouvait avoir l'occasion, juste une fois, de leur montrer qui devrait faire la loi...
Il tira sur la bouteille de Cognac de Kemperbad pour se réchauffer un peu. Une gorgée d'alcool ne faisait pas de mal. Le tout était qu'il ne fallait pas se faire prendre par les gradés pendant le service. Heureusement, Hultz Trunkenbold avait lui aussi un penchant pour la bouteille, et on pouvait sans s'inquiéter se fier à sa discrétion. Et devinez qui était de service ce soir aux côtés de Alfred? Hultz, évidemment!
La soirée était avancée dans tous les sens du terme lorsque Stimmer discerna sur la route trois cavaliers qui semblaient venir de la Passe Montdidier. Un gars en armure et deux autres, transits de froid.
Encore des voyageurs sans histoire. Encore la routine, quoi.
Mais bon... il fallait faire le boulot.
Au moins pour la forme.
"Qui va là?" demanda Alfred en empoignant sa hallebarde - il aimait bien les effets dramatiques.
Il se saisit de sa lanterne. Elle pourrait lui servir à voir à qui il parlerait.
Les cavaliers approchèrent avant que l'homme en armure ne prenne la parole.
"Nous sommes des voyageurs. Nous sommes fatigués et espérons trouver une nuit de repos dans votre village."
Comme si c'était son village.
"Ah ouais? D'où vous venez, comme çà?
- De Paillole.
- Z'avez pas des têtes de Bretonniens.
- Nous sommes impériaux mais une affaire nous a forcé à nous rendre en Bretonnie.
- Ouais... Z'êtes au courant de la taxe?
- Non.
- Deux Couronnes par jambe. J'en vois six chacun."
Il comptait à la fois les pattes des chevaux et les jambes des cavaliers.
Le gars en armure se tourna vers ses compagnons. Ils haussèrent les épaules d'un air navré.
"Très bien, finit-il par dire. Voilà vos dix-huit Couronnes d'Or."
Il lui remit le droit d'entrée.
Quoi? ils avaient marché? même pas essayé de marchander! Ces trois-là étaient vraiment naïfs. Tant pis pour eux.
"Bon, vous pouvez y aller."
Les cavaliers entrèrent dans le village. Alfred attendit qu'ils soient assez loin pour retrouver Hultz, avachi dans un coin du poste de garde.
Dix huit Couronnes... De quoi passer une bonne soirée! »