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Une alliance improbable

Source : La Trilogie des Périls - David Eddings, proposé par Fenryll.

« Le Troll s'approcha avec circonspection, en louvoyant entre les bouleaux. Il s'aidait de ses bras pour grimper, en se cramponnant aux troncs. Il faisait près de huit pieds et demi de haut et sa fourrure était d'un brun luisant. Il avait une face un peu simiesque, même s'il n'avait pas le museau proéminent de la plupart des singes, et une lueur d'intelligence brillait dans ses yeux enfoncés. Il grimpa sur l'épaulement rocheux et s'accroupit, les avant-bras posés sur les genoux, la paume des mains bien en évidence.
- Je n'ai pas de massue grommela-t-il.
Ulath posa ostensiblement sa hache et tendit ses mains vides devant lui.
- Je n'ai pas de massue, dit-il à son tour en guise de salutation. Ôte ton ceinturon, Tynian, murmura-t-il et pose le par terre.
Tynian s'apprêtait à objecter, puis se ravisa.
- C'est un bel enfant de Khwadj que vous avez fait, reprit le Troll en tendant le doigt vers le feu. Khwadj sera content.
- Il est bon de plaire aux Dieux, répondit Ulath.
Soudain le Troll flanqua un coup de poing par terre.
- Ce n'est pas comme il faudrait ! déclara-t-il d'un air malheureux.
- Non acquiesça Ulath en s'accroupissant comme le Troll. Ce n'est pas comme il faudrait. Mais les Dieux ont leurs raisons. Ils ont dit que nous ne devions pas nous tuer. Ils ont aussi dit que nous ne devions pas nous manger.
- Je les ai entendus dire ça. Se pourrait-il que nous ayons mal compris ?
- Je ne pense pas.
- Se pourrait-il qu'ils soient malades dans leur tête ?
- Ça c'est possible. Mais nous devons quand même faire ce qu'ils nous ont dit.
- De quoi parlez vous ? demanda Tynian l'air pas rassuré.
- Nous philosophons répondit Ulath. C'est assez compliqué, ajouta-t-il tandis que Tynian ouvrait de grands yeux. Nous nous demandons si nous devons obéir aux Dieux même s'ils sont devenus fous. Je lui dis que oui. Evidemment je ne suis pas tout à fait objectif.
- Il ne sait pas parler ? demanda le Troll en indiquant Tynian. Il ne peut faire que ces bruits d'oiseau ?
- Les bruits d'oiseaux sont le langage de ceux de notre race. Veux tu prendre un peu de notre manger ?
- Ça ? avança le Troll en jetant sur les chevaux un regard flatteur.
- Euh, non, répondit Ulath. Ce sont les bêtes qui nous transportent.
- Avez vous les jambes malades ? Est-ce pour ça que vous êtes si petit ?
- Non. Nous montons sur ces bêtes parce qu'elles courent plus vite que nous. Nous faisons ça quand nous voulons aller vite.
- Quelle sorte de manger avez-vous ?
- Du cochon.
- Le cerf est meilleur. Mais le cochon est bon.
- Oui.
- Où est le cochon ? Il est mort ? S'il est encore vivant, je vais le tuer.
- Il est mort.
- Je ne le vois pas, fit le Troll en regardant autour de lui.
- Nous n'en avons apporté qu'un morceau, fit Ulath en indiquant le gros jambon embroché sur le feu.
- Vous partagez votre mangé avec l'enfant de Khwadj ?
- Oui, acquiesça Ulath, estimant le moment mal choisi pour expliquer le concept de cuisson au Troll. Telle est notre coutume.
- Et Khwadj est content que tu partages ton manger avec son enfant ?
- Nous pensons que oui.
Ulath tira sa dague, souleva la broche du feu et coupa un morceau de jambon de trois bonnes livres.
- Vous avez les dents malades ? avança le Troll d'un ton qui leur parut presque compatissant. J'ai eu une dent malade, une fois. Ça m'a fait très mal.
- Ceux de notre race n'ont pas les dents très pointues répondit Ulath. Tu veux un peu de notre manger ?
- Je veux bien.
Le Troll se leva et s'approcha du feu. Il les dominait comme une montagne.
- Le manger a été près de l'Enfant de Khwadj, l'avertit Ulath. Il est chaud. Il peut te faire mal à la bouche.
- On m'appelle Bhlokw, fit le Troll.
- On m'appelle Ulath.
- U-lat ? drôle de façon de s'appeler. Et ça, comment ça s'appelle ? demanda Bhlokw en indiquant Tynian.
- Tynian répondit Ulath.
- Tin-in. C'est encore plus drôle que U-lat.
- Les bruits d'oiseau de notre langage font paraître curieuse la façon dont nous nous appelons.
Le Troll se pencha en avant et renifla le sommet du crane d'Ulath. Celui-ci résista à l'envie de grimper en hurlant dans l'arbre le plus proche. Il renifla poliment la fourrure du Troll. Il ne sentait pas si mauvais, en fait. Puis Tynian et le monstre se reniflèrent mutuellement.
- Maintenant, je vous connais, déclara Bhlokw.
- C'est une bonne chose, fit Ulath en lui tendant le bout de jambon fumant.
Bhlokw le mit tout entier dans sa bouche et le recracha précipitamment dans sa patte.
- Chaud, expliqua-t-il, un peu penaud.
- Nous soufflons dessus pour le refroidir, lui suggéra Ulath.
Bhlokw crachouilla longuement sur le jambon puis se le fourra à nouveau dans la bouche, mâcha pensivement pendant un moment. Et avala.
- C'est différent, dit-il diplomatiquement, puis il poussa un soupir. Je n'aime pas ça U-lat, avoua-t-il d'un air malheureux. Ce n'est pas comme il faudrait.
- Non, convint Ulath. Ce n'est pas comme il faudrait.
- Nous devrions nous entretuer. Je tue et je mange des hommes-choses depuis qu'ils entrent sur le territoire des Trolls. Voilà comment il faut que ce soit. Les Dieux doivent être malades dans leur tête pour nous faire agir autrement. Mais c'est bien pensé, ajouta-t-il avec un soupir cyclonesque. Nous allons faire comme on nous dit. Un jour, nos Dieux iront mieux dans leur tête; ils nous permettront à nouveau de nous entretuer et de nous manger. Ils veulent vous voir, dit-il en se levant d'un bloc. Je vais vous mener vers eux.
- Où tu iras, nous irons. »

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